vendredi 8 décembre 2017

Au bout du Monde



Colonia del Sacramento et Buenos Aires sont séparées d'une heure de ferry. Une nouvelle frontière franchie par voie maritime. Je commence à m'y habituer. La capitale argentine est très grande et très étendue. Je vais consacrer cinq jours à l'explorer. Trois jours auraient sûrement été suffisants, mais j'avais envie de ralentir un peu le rythme, de me laisser guider par l'ambiance de la ville et aussi il est vrai de me poser un peu. Depuis que j'arpente les villes du continent américains j'ai du mal à m'émerveiller (hormis New York). Le problème est certainement qu'inconsciemment je les compare à mes références européennes, plus marquées historiquement et plus riches en monuments. Alors forcément, Buenos Aires n'est pas Paris, Rome ou Prague. Pour autant, elle demeure très agréable et assez nuancée en fonction de ses différents quartiers. En remontant à pieds de la Boca jusqu'à Palermo, en passant par San Telmo, le centre, le Retiro, Recoleta, on traverse toutes ses identités.

La Boca est le quartier populaire le plus connu de la ville, c'est aussi le plus proche du centre. Le cœur du quartier, Caminito, est réputé pour ses maisons colorées. Avant de rejoindre ce haut lieu touristique, je descends du bus à une dizaine de cuadras de là, histoire de sentir un peu la réalité des lieux. Nombreuses sont les maisons qui sont rafistolées à là tôle. Le street art recouvre également les murs avec de jolies scènes de vies ou des slogans politiques à la gloire de « la republica de la Boca ». 








En soi le quartier n'est pas immense, et la plus grande attraction se trouve en son cœur, son stade de football, la Bombonera, l'antre du CA Boca Junior. Un vieux stade à la peinture jaune et bleu défraîchie et à l'architecture atypique. J'avais calibré mon passage à Buenos Aires pour me laisser la chance d'assister à un match. Réservées à ses socios, difficiles de se procurer des places, surtout quand on est étranger. Je serais obligé de passer par l'intermédiaire d'une agence pour dénicher mon sésame. On est dimanche soir, il a plu toute la journée et c'est maintenant le vent qui s’abat sur la ville. Je me poste tout en haut de ce stade sans toit, en latérale, juste à coté du virage principal où sévit la doce, les plus fervents supporters. Boca Junior affronte le dernier, Arsenal, mais le stade sera comble. Les 50.000 sièges ont trouvé preneurs. Des stades j'en ai vu des paquets, mais voir un match à la Bombonera reste un summum dans l'imaginaire. Ça commence à chanter plus d'une demi heure avant le coup d'envoi et ça ne s'arrêtera pas du match. Quatre ou cinq chants maximums. Des refrains martelés inlassablement, une déclaration d'amour incessante d'un peuple à son équipe, une envolée lyrique dans un registre lexical quelquefois vulgaire d'un stade qui pue le foot. Les chants s’élèvent et résonnent. La Bombonera est maintenant un cœur qui bat et dont le rythme s'intensifie au gré de la tension dégagée sur le terrain. Les joueurs et leur public sont rentrés dans une sorte de danse, un tango assez incroyable, une magnifique communion, une explosion voire même une transe sur les deux buts. J'ai déjà vu des chants vocalement plus puissants et des tribunes plus organisées mais je n'avais encore jamais vu un stade entier vibrer à ce point pour son équipe.





 

Juste à côté de la Boca, on trouve San Telmo, un quartier vieillot mais très agréable. C'est peut être là qu'on sent le plus ce qu'est l'ambiance de Buenos Aires. Les cafés d'angles, les magasins d'empenadas et un sympathique petit marché couvert.



 


Plus loin, on regagne le centre ville à proprement parlé. Les longues avenues garnies d'étranges arbres aux feuilles violettes (les jacarandas) où défilent les bus bariolés, la Plaza de Mayo et ses monuments, le parc San Martin richement ombragé. Je serais moins charmé par les quartiers huppés du nord de la ville comme Palermo et encore moins par le cimetière de Recoleta (souvent comparé au Père Lachaise). 

 
 
 


 
Un peu plus en retrait du centre je flânerais sur Almagro, Abasto et Boedo où se déroule cette vie argentine et ses spécificités. A côté de l'aspect fouillis mais vivant d'une culture latine on a par exemple la rigueur de faire la queue aux arrêts de bus. Boedo est le quartier qui abrite le club de foot de San Lorenzo (club supporté par le Pape en personne). Je me suis rendu compte de cela aux nombreuses fresques murales. J'ai même deviné (et vérifié par la suite) l'emplacement de l'ancien stade historique en observant les peñas de part et d'autre d'un immense Carrefour flambant neuf et de son parking. Buenos Aires fut une agréable halte sur ma route.

 


Pour me rendre à Ushuaïa ce seront trois heures et demi de vol pour abattre les trois milles kilomètres de distance. Pas de tampon sur le passeport, pas de changement d'heure. Un vol banal au final. Le changement il est en sortant du mini-aéroport, 5°C au thermomètre et un vent frais de bienvenu. Immédiatement ce sont les images d'Islande qui me reviennent à l'esprit. Ushuaïa à des faux airs de Reykjavík, en trois fois plus petit. Le même coté isolé, les montagnes enneigées en fond, un type d'habitation similaire. La ville est relativement vivante, elle est au final une plateforme touristique importante (excursions vers l’Antarctique, traversée entres les deux océans...). 


 
Je passerai une journée à randonner dans le parc national de la Terre de Feu à une grosse dizaine de bornes de la ville, au bout de la route la plus australe d'Amérique. Au bout du (nouveau) monde. L’atmosphère est assez sauvage et bien plus végétalisé que je l'imaginais. Au pieds des montagnes, entre le lac Roca et la baie de Lapataia, des landes rocheuses et tourbées succèdent à des bosquets à hautes tiges. Un mélange islando-écossais qui offre quelque chose d'assez mystique. Niveau faune je suis un peu déçu je n'ai pas eu la chance de voir de renard. En revanche j'ai vu de nombreux oiseaux dont le pivert local et sa tête rouge, le pic de Magellan.







 
Le lendemain, repos. On va se laisser porter sur le canal de Beagle à bord d'une petite embarcation à moteur. On glisse au petit matin sous un ciel gris et par temps frais le long de ce canal séparant le Chili et l'Argentine et permettant de joindre le Pacifique et l'Atlantique. On navigue de petite île en petite île à la découverte des habitants des lieux : les cormorans (une sorte de petit pingouin volant) et les lions des mers. On pourra même cheminer sur la plus grande des îles et tomber en contemplation devant ce panorama incroyable. La guide nous présentera où et comment vivaient les habitants originels des lieux, les Yamanas. Malheureusement, l'arrivée en masse des colons ibériques vers 1880 a amorcé la disparition fulgurante de cette ethnie.









Une belle entrée en manière pour mes trois semaines en Patagonie. Il faut maintenant que je remonte vers Santiago, trois milles bornes plus haut, ou un vol m'attend pour le 29 Décembre. J'ai deux passages obligés (El Calafate et El Chalten) mais après l'itinéraire reste assez ouvert, on verra bien vers où nous pousse le vent. Premiers tours de roues dés demain matin avant le chant du coq, avec une douzaine d'heures de bus pour remonter cette île de la Terre de Feu et rejoindre Rio Gallegos sur le continent.

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