Colonia del Sacramento et
Buenos Aires sont séparées d'une heure de ferry. Une nouvelle
frontière franchie par voie maritime. Je commence à m'y habituer.
La capitale argentine est très grande et très étendue. Je vais
consacrer cinq jours à l'explorer. Trois jours auraient sûrement
été suffisants, mais j'avais envie de ralentir un peu le rythme, de
me laisser guider par l'ambiance de la ville et aussi il est vrai de
me poser un peu. Depuis que j'arpente les villes du continent
américains j'ai du mal à m'émerveiller (hormis New York).
Le problème est certainement qu'inconsciemment je les compare à mes
références européennes, plus marquées historiquement et plus
riches en monuments. Alors forcément, Buenos Aires n'est pas Paris,
Rome ou Prague. Pour autant, elle demeure très agréable et assez
nuancée en fonction de ses différents quartiers. En remontant à
pieds de la Boca jusqu'à Palermo, en passant par San Telmo, le
centre, le Retiro, Recoleta, on traverse toutes ses identités.
La
Boca est le quartier populaire le plus connu de la ville, c'est aussi
le plus proche du centre. Le cœur du quartier, Caminito, est réputé
pour ses maisons colorées. Avant de rejoindre ce haut lieu
touristique, je descends du bus à une dizaine de cuadras
de là, histoire de sentir un peu la réalité des lieux. Nombreuses
sont les maisons qui sont rafistolées à là tôle. Le street
art recouvre également les murs
avec de jolies scènes de vies
ou des slogans politiques à la gloire de « la
republica de la Boca ».
En soi le quartier n'est pas immense, et la plus grande attraction se
trouve en son cœur, son stade de football, la Bombonera, l'antre du
CA Boca Junior. Un vieux stade à la peinture jaune et bleu
défraîchie et à l'architecture atypique. J'avais calibré mon
passage à Buenos Aires pour me laisser la chance d'assister à un
match. Réservées à ses socios,
difficiles de se procurer des places, surtout quand on est étranger.
Je serais obligé de passer par l'intermédiaire d'une agence pour
dénicher mon sésame. On est dimanche soir, il a plu toute la
journée et c'est maintenant le vent qui s’abat sur la ville. Je me
poste tout en haut de ce stade sans toit, en latérale, juste à coté
du virage principal où sévit la doce,
les plus fervents supporters. Boca Junior affronte le dernier,
Arsenal, mais le stade sera comble. Les 50.000 sièges ont trouvé
preneurs. Des stades j'en ai vu des paquets, mais voir un match à la
Bombonera reste un summum dans l'imaginaire. Ça commence à chanter
plus d'une demi heure avant le coup d'envoi et ça ne s'arrêtera pas
du match. Quatre ou cinq chants maximums. Des refrains martelés
inlassablement, une déclaration d'amour incessante d'un peuple à
son équipe, une envolée lyrique dans un registre lexical
quelquefois vulgaire d'un stade qui pue le foot. Les chants s’élèvent
et résonnent. La Bombonera est maintenant un cœur qui bat et dont
le rythme s'intensifie au gré de la tension dégagée sur le
terrain. Les joueurs et leur public sont rentrés dans une sorte de
danse, un tango assez incroyable, une magnifique communion, une
explosion voire même une transe sur les deux buts. J'ai déjà vu
des chants vocalement plus puissants et des tribunes plus organisées
mais je n'avais encore jamais vu un stade entier vibrer à ce point
pour son équipe.
Juste
à côté de la Boca, on trouve San Telmo, un quartier vieillot mais
très agréable. C'est peut être là qu'on sent le plus ce qu'est
l'ambiance de Buenos Aires. Les cafés d'angles, les magasins
d'empenadas et un sympathique petit marché couvert.
Plus loin, on
regagne le centre ville à proprement parlé. Les longues avenues
garnies d'étranges arbres aux feuilles violettes (les
jacarandas) où défilent les
bus bariolés, la Plaza de Mayo et ses monuments, le parc San Martin
richement ombragé. Je serais moins charmé par les quartiers huppés
du nord de la ville comme Palermo et encore moins par le cimetière
de Recoleta (souvent
comparé au Père Lachaise).
Un peu plus en retrait du centre je flânerais sur Almagro, Abasto et
Boedo où se déroule cette vie argentine et ses spécificités. A
côté de l'aspect fouillis mais vivant d'une culture latine on a par
exemple la rigueur de faire la queue aux arrêts de bus. Boedo est le
quartier qui abrite le club de foot de San Lorenzo (club
supporté par le Pape en personne).
Je me suis rendu compte de cela aux nombreuses fresques murales. J'ai
même deviné (et vérifié par la suite)
l'emplacement de l'ancien stade historique en observant les peñas
de part et d'autre d'un immense Carrefour flambant neuf et de son
parking. Buenos Aires
fut une agréable halte sur ma route.
Pour
me rendre à Ushuaïa ce seront trois heures et demi de vol pour
abattre les trois milles kilomètres de distance. Pas de tampon sur
le passeport, pas de changement d'heure. Un vol banal au final. Le
changement il est en sortant du mini-aéroport, 5°C au thermomètre
et un vent frais de bienvenu. Immédiatement ce sont les images
d'Islande qui me reviennent à l'esprit. Ushuaïa à des faux airs de
Reykjavík, en trois fois plus petit. Le même coté isolé, les
montagnes enneigées en fond, un type d'habitation similaire. La
ville est relativement vivante, elle est au final une plateforme
touristique importante (excursions vers l’Antarctique, traversée
entres les deux océans...).
Je passerai une journée à
randonner dans le parc national de la Terre de Feu à une grosse
dizaine de bornes de la ville, au bout de la route la plus australe
d'Amérique. Au bout du (nouveau) monde. L’atmosphère est assez
sauvage et bien plus végétalisé que je l'imaginais. Au pieds des
montagnes, entre le lac Roca et la baie de Lapataia, des landes
rocheuses et tourbées succèdent à des bosquets à hautes tiges. Un
mélange islando-écossais qui offre quelque chose d'assez mystique.
Niveau faune je suis un peu déçu je n'ai pas eu la chance de voir
de renard. En revanche j'ai vu de nombreux oiseaux dont le pivert
local et sa tête rouge, le pic de Magellan.
Le lendemain, repos. On
va se laisser porter sur le canal de Beagle à bord d'une petite
embarcation à moteur. On glisse au petit matin sous un ciel gris et
par temps frais le long de ce canal séparant le Chili et l'Argentine
et permettant de joindre le Pacifique et l'Atlantique. On navigue de
petite île en petite île à la découverte des habitants des
lieux : les cormorans (une sorte de petit pingouin volant)
et les lions des mers. On pourra même cheminer sur la plus grande
des îles et tomber en contemplation devant ce panorama incroyable.
La guide nous présentera où et comment vivaient les habitants
originels des lieux, les Yamanas. Malheureusement, l'arrivée en
masse des colons ibériques vers 1880 a amorcé la disparition
fulgurante de cette ethnie.
Une
belle entrée en manière pour mes trois semaines en Patagonie. Il
faut maintenant que je remonte vers Santiago, trois milles bornes
plus haut, ou un vol m'attend pour le 29 Décembre. J'ai deux
passages obligés (El Calafate et El Chalten) mais après
l'itinéraire reste assez ouvert, on verra bien vers où nous pousse
le vent. Premiers tours de roues dés demain matin avant le chant du
coq, avec une douzaine d'heures de bus pour remonter cette île de
la Terre de Feu et rejoindre Rio Gallegos sur le continent.
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